Voici un travail sérieux de journaliste réalisé par Objectif Aquitaine. Il mérite d'être salué. JP D.
LGV Bordeaux-Toulouse : la lourde facture écologique des granulats
ENQUÊTE. C'est l'un des plus gros chantiers annoncés en France d'ici 2030. Sur 220 kilomètres, la future LGV Bordeaux-Toulouse va mobiliser au moins 20 millions de tonnes de granulats pour ériger les remblais ferroviaires. Mais le long du tracé, les carrières sont au compte-gouttes et la SNCF va devoir payer le prix fort pour acheminer la ressource. La filière se dit même inquiète sur sa capacité d'extraction.
Maxime Giraudeau
Le calendrier des travaux de gros œuvre de la LGV vers Toulouse et Dax doit s'étaler sur quatre années, de 2027 à 2030.
En mai, la SNCF relançait la bataille de l'opinion. La société ferroviaire dégainait un sondage en réponse à l'opposition et aux avis défavorables des agences environnementales autour du GPSO. Résultat, ce sigle n'évoque rien pour 81 % des 2.000 personnes sondées. Il désigne le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest et son dessein : relier Bordeaux à Toulouse puis à Dax avec deux nouvelles lignes à grande vitesse. Opération bien méconnue et pourtant soutenue, quand on les interroge, par 88 % du même panel.
Il y a le front de l'opinion et celui des opérations. Sur le second, le maître d'ouvrage ferroviaire avance mais demeure avare d'informations. Le calendrier des travaux de gros œuvre doit s'étaler sur quatre années, de 2027 à 2030. Les appels d'offres, eux, n'ont pas encore été lancés. Mais l'on sait déjà que le souhait de mener «un projet exemplaire sur le plan environnemental» va avoir la vie dure. Il n'y a pas que les 4.800 hectares de terres artificialisées en jeu, il y a aussi celles à faire venir pour façonner les talus ferroviaires.
Construire une ligne ferrée, ce n'est pas seulement terrasser un sol pour y poser des rails. Sur l'ensemble du tracé, et en particulier sur les terrains les plus meubles, il faudra apporter en masse des granulats, ces morceaux de roches issus de l'industrie extractive des carrières. Et ce pour un équivalent d'1,9 tonne par m3 selon les estimations de la Cellule économique régionale de la construction (Cerc). Au total, 23 millions de tonnes de granulats seraient ainsi nécessaires pour le seul chantier entre Saint-Médard d'Eyrans (au sud de Bordeaux) et Castelnau d'Estrétefonds (au nord de Toulouse). Soit la moitié de la production annuelle totale des carrières de Nouvelle-Aquitaine. Le Cerc estime tout de même que 10 millions de tonnes de déblais issus du terrassement pourraient être réutilisées sur place.
« La ressource locale, on ne l'a pas »
Mais le long du tracé, les carrières se font rares. En particulier celles dotées d'un granulat assez dense pour le remblai ferroviaire. Selon les relevés de La Tribune dans l'inventaire du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la Gironde, les Landes, le Lot-et-Garonne et le Tarn-et-Garonne ne comptent que 16 carrières capables d'extraire du granulat concassé. « Le Lot-et-Garonne dispose d'une ressource bien répartie, mais constituée presque essentiellement de calcaires lacustres d'épaisseur souvent faible et de qualité très variable. La Gironde et les Landes ne disposent quasiment pas de ressource, excepté des calcaires lacustres », indique une étude du bureau de recherches. Sur la plaine alluvionnaire de Garonne, c'est le granulat roulé qui est particulièrement abondant, plus fin et très utilisé pour l'industrie du béton.
« La ressource locale on ne l'a pas, confirme Jean-Claude Pouxviel, directeur régional d'Eurovia et président de l'Unicem Nouvelle-Aquitaine (Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction). Pour faire de la sous-couche sous ballast, il y a des exigences techniques sur le caillou qui font que sur Bordeaux-Toulouse il n'y a pas la ressource demandée. Les matériaux viendront du Limousin, de Charente ou des Deux-Sèvres par exemple », cite-t-il.
15.000 tonnes par jour
Les géants du BTP qui seront sélectionnés pour accomplir les opérations devront au moins solliciter les départements limitrophes. L'Occitanie dispose de ressources importantes dans le Tarn, en particulier autour de Castres, et en Aveyron, quand la Nouvelle-Aquitaine les concentre dans les Pyrénées-Atlantiques au Sud et sur le Poitou-Charentes au Nord. A l'époque, SNCF Réseau avait été bien plus avantagée pour réaliser la ligne Tours-Bordeaux grâce aux carrières des Charentes et du Poitou. Exemple : le département de la Charente compte autant de carrières de granulat concassé que les quatre principaux départements traversés par le GPSO.
Pour le projet, c'est le signe d'une facture lourde. « Les granulats ont besoin d'être consommés proches de leur lieu d'exploitation. Leurs coûts de production sont assez faibles mais leur transport fait exploser le prix à la tonne », explique Pierre Bourbon, géologue au BRGM, pour un chantier qui, à plein régime, va engloutir 15.000 tonnes de roches par jour. Avec d'innombrables livraisons par camion, l'empreinte environnementale va par conséquent flamber. L'observatoire de l'environnement que la SNCF veut mettre en place pour mesurer l'impact du chantier aura de quoi surchauffer.
Des importations de ballast
Sur une voie ferrée il y a, par-dessus les granulats concassés, les roches visibles : le ballast. Seule une quinzaine de carrières en France est agréée pour fournir à la SNCF ce matériau très réglementé. La LGV Tours-Bordeaux avait pu compter sur les sites d'extraction de Thouars (Deux-Sèvres), d'Abzac (Charente), d'Ambazac (Haute-Vienne) et de Thiviers (Dordogne). Pas de quoi empêcher des importations de ballast. À l'époque, des roches en provenance d'Écosse ont approvisionné le chantier. Ce que la SNCF n'exclut pas pour Bordeaux-Toulouse.
À la tête de la maîtrise d'ouvrage, ce mauvais alignement géographique ne semble pas tant préoccuper. « Il n'est pas prévu qu'on ouvre de nouvelles carrières pour les besoins du projet donc on doit faire avec notre capacité locale et, pour les besoins résiduels, avec celle de l'extérieur », vise Christophe Huau, le directeur de l'agence GPSO. Selon le Cerc pourtant, la ressource locale ne pourra fournir que 3 % des besoins pour la partie girondine et 51 % pour le reste du tracé. Pour atténuer l'impact, l'agence assure préparer un appel d'offre exigeant : « Il y a toute une réflexion pour demander aux entreprises une consommation de matériaux et des transports qui soient les plus économes possibles. Ça participera aux critères de sélection », promet celui qui était déjà à la manœuvre sur la LGV Tours-Bordeaux.
Les volumes d'extraction augmentés ?
Faudra-t-il encore que les gardiens des roches soient prêts à leur vendre la matière. Parmi les représentants des carrières, c'est peu dire qu'on ne sautera pas au plafond si le chantier se fait. « C'est difficile de gérer un chantier de cette taille-là sans délaisser nos clients existants, explique à La Tribune Laurent Richaud, président du groupe charentais Garandeau. Nous qui avons participé à la LGV Bordeaux-Tours, je sais que l'après LGV est très difficile à gérer. Les volumes demandés sont colossaux, si vous vous laissez griser, ça peut mobiliser toute une carrière pendant deux ans. » Avec le risque de perdre les clients traditionnels du BTP. « Une fois que tu mets une main dedans, tu es aspiré par le chantier. Et derrière si tu refuses une fois, deux fois, tu perds ton client », évoque le dirigeant d'une carrière de la Vienne qui a approvisionné le projet Tours-Bordeaux.
Pour les sites qui seront mis à contribution, l'activité promet de s'intensifier. À tel point que des autorisations préfectorales pour extraire plus que les seuils habituellement autorisés pourraient être attribuées. « Le préfet va accorder une dérogation mais si le riverain voit plus de camions, il risque de se plaindre à son maire. Derrière, ce sera plus difficile pour que notre carrière soit renouvelée », craint Laurent Richaud. Peut-on alors ouvrir des nouveaux sites d'extraction ? Le schéma régional des carrières ne le prévoit pas. « Sur les plaines alluviales de la Garonne, ce sont des zones avec beaucoup de conflits d'usage, avec des villes moyennes, des zones humides. Il y a des conflits territoriaux qui font qu'ouvrir des carrières dans ces zones là est difficile », pense Pierre Bourbon.
Rien sans un appel d'offre exigeant
Si les entreprises du chantier lorgnent sur le granulat roulé, plus fin que la roche concassée, elles vont entrer frontalement en concurrence avec les grands producteurs de béton sur la plaine de Garonne. « Il peut apparaître un conflit d'usage entre le secteur du bâtiment et celui de la construction ferroviaire, prédit le géologue Pierre Bourbon. Les granulats roulés sont ce qu'il y a de plus intéressant pour la composition du béton. Ils ont aussi d'autres usages intéressants par ailleurs, donc je pense que leur coût est un peu trop élevé pour les utiliser seulement en remblais. » Extraite à proximité ou pas, la roche va dans tous les cas se payer cher.
Face à cela, la marge de manœuvre de SNCF Réseau est limitée. « Le découpage du chantier en lots permettra de réduire le risque », oriente Edouard Homberg, consultant en financement des projets ferroviaires pour le cabinet EY. Ensuite, il faudra inciter fortement les candidats à limiter la dette environnementale. « Un chantier comme ça doit pousser les entreprises à innover pour réduire l'impact. Il faut que les groupes du BTP innovent sur la décarbonation de leurs engins. Mais si le maître d'ouvrage ne l'impose pas dans son appel d'offre, ils ne le feront pas d'eux-mêmes », pose-t-il. Réponse attendue avec les premiers marchés qui, selon la SNCF, seraient lancés d'ici la fin de l'année.