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Trois jours de lutte à Lerm-et-Musset

le reportage de reporterre (photo Pierre-Yves Lerayer:

En Gironde et avec l’appui des Soulèvements de la Terre, les associations contre la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse-Dax ont dénoncé une « gabegie financière », lors d’une grande mobilisation du 11 au 13 octobre.

Lerm-et-Musset (Gironde), reportage

Vers le chapiteau monté dans cette prairie bordée de forêts du Sud Gironde, la foule, habillée de noir, converge. Quarante-huit heures plus tôt, le lieu de rendez-vous avait été révélé sur un fil Telegram par les organisateurs de l’événement, le collectif local LGV Non merci et Les Soulèvements de la Terre : une « propriété privée » de Lerm-et-Musset, petit village de 500 habitants, à quelques encablures du Lot-et-Garonne, abriterait la mobilisation « freinage d’urgence », du 11 au 13 octobre.

Le lieu est symbolique : à 3 kilomètres de là, au milieu de la forêt de feuillus et de résineux des landes de Gascogne, devrait être construit le triangle ferroviaire de la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Bordeaux à Dax et Toulouse. Sur les 2,5 hectares prêtés par Philippe Barbedienne, vice-président de la Sepanso, association de défense de l’environnement en Nouvelle-Aquitaine, entre 1 000 et 1 500 personnes venues de toute la France ont répondu à l’appel du « Grand jeu contre les LGV ».

Leur première nuit n’a pas été des plus reposantes. Vers 3 heures du matin, les militants ont été réveillés par le survol d’un hélicoptère de la gendarmerie, sirènes hurlantes et stroboscope braqué sur les tentes. Des tirs d’engins d’artifice avaient alors ciblé l’hélicoptère.

Trente ans de lutte

Agglutinés sous le chapiteau du camp de base, protégés d’un crachin de saison, les militants sont prêts à découvrir le programme d’actions du jour, annoncé « festif » et « ludique ». « Alors que le projet n’est pas encore financé, les destructions ont commencé, assènent Léonie et Sylvie du collectif LGV Non merci, en référence aux tout premiers travaux aux abords de Bordeaux et Toulouse. Il faut unir nos forces pour imposer un freinage d’urgence, voire un arrêt d’urgence. »

Après trente années de lutte contre ce grand projet ferroviaire du sud-ouest (GPSO), les différentes associations anti-LGV Bordeaux-Toulouse-Dax ont décidé, un an plus tôt, de solliciter Les Soulèvements de la Terre pour l’organisation d’une mobilisation. « Nous voulons avoir plus de visibilité médiatique, passer à une échelle supérieure », nous explique Léonie, par ailleurs membre de l’association Desrailha (« Ça déraille », en gascon). La pression s’est accentuée ces derniers mois sur les opposants, alors que le budget de construction de la ligne est en négociation au niveau européen et que l’Union européenne doit y contribuer à hauteur de 20 %. Le tour de table serait alors bouclé.

« La LGV, c’est pas fait ! » scandent les deux militantes devant la foule qui a pris connaissance du programme des mini-jeux proposés pour l’après-midi. Une heure plus tard, un cortège de quelque 700 personnes s’ébranle pour une marche de plus d’une heure dans la forêt, emportant avec elles des poutres de bois, des planches, de quoi jouer à un Giga Kapla, comme l’annonce le dépliant distribué au brief.

Le camp de base retrouve son calme. Sous les barnums des associations locales du collectif LGV Non merci, la colère est tenace. Laurence, de l’association LGV Nina (Ni ici, ni ailleurs), dénonce « cette absurdité alors qu’on a déjà des lignes ». Les opposants voudraient que celle reliant déjà Bordeaux à Toulouse, où circulent TER, Intercités et TGV au ralenti, soit adaptée. Des shunts, l’aménagement des passages à niveau, rendraient la circulation des TGV à pleine vitesse possible, selon un rapport de 2012. Le coût de cette adaptation serait de 5 milliards d’euros, contre 14 milliards d’euros pour la nouvelle ligne, sans prendre en compte l’inflation des quatre dernières années. Les opposants estiment que le montant réel de ce chantier serait de 18 milliards d’euros.

Pour financer le chantier, l’État mettra au pot à hauteur de 40 %, autant que 25 collectivités traversées par la LGV. Selon le collectif LGV Non merci, le risque de dépasser le budget est réel et expose les collectivités à un « risque financier », acté dans le plan de financement du GPSO. Deux recours ont ainsi été déposés, l’un par des associations, l’autre par un collectif d’élus, devant le tribunal administratif de Toulouse en 2022 pour en obtenir l’annulation.

Les habitants des communes à moins d’une heure d’une des gares de la ligne doivent désormais s’acquitter d’un impôt créé spécialement pour financer la ligne : la taxe spéciale d’équipement (TSE). « C’est une taxe injuste, payée par des gens qui vont regarder passer les TGV sans les prendre, considère Simon, Lot-et-Garonnais de Stop LGV 47, qui rappelle que seulement 5 % des voyages en train en France se font en TGV. Sur le site du collectif, nous appelons les gens à faire de la désobéissance fiscale. »

Un contexte d’austérité budgétaire

« On a besoin de trains du quotidien », avance Antoine, membre de Desrailha. L’association qui regroupe des habitants de La Réole, commune girondine située à quarante minutes en voiture de la ligne et qui est desservie par une ligne de TER, parvient à mobiliser contre la LGV. « Les lignes sont mal entretenues, les gares sont inaccessibles pour les personnes à mobilité réduite, martèle-t-il. Avec 18 milliards d’euros, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour nos territoires ? »

Devant l’annonce d’une politique d’austérité par le gouvernement Barnier, Laurence, de LGV Nina, pense qu’avec « le financement par l’État d’un tel projet avec la dette actuelle, on peut se demander si c’est judicieux ». Pourtant, rapporte le quotidien Sud-Ouest, Carlo Secchi, coordonnateur du réseau transeuropéen de transport, a précisé quelques jours avant la mobilisation que « les investissements nationaux en faveur des grandes infrastructures ne comptaient plus dans le déficit budgétaire [limité à] 3 % établi par le traité de Maastricht ».

La dernière inconnue financière reste la participation de l’Union européenne à hauteur de 20 % du budget. « Pour cela, il faut que la LGV atteigne l’Espagne », commente Laurence. La mobilisation anti-LGV au Pays basque a été telle qu’une ligne à grande vitesse dans cette partie de la France n’est plus à l’ordre du jour.

Une fausse condition, balaie Christian Broucaret, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) de Nouvelle-Aquitaine, joint par téléphone. « Au-delà de Dax, les trains basculeront sur la ligne classique », explique-t-il, et pourront ainsi rejoindre l’Espagne, même sans LGV. La construction de cette dernière s’imposerait pourtant, toujours selon Christian Broucaret, afin de « désaturer le trafic ferroviaire en prévision de la circulation du futur RER basco-landais ».

Pendant ce temps, une vélorution d’une centaine de militants s’est lancée dans le centre de Bordeaux, faisant irruption à la gare Saint-Jean. Trois militants sont alors interpelés. D’autres groupes sont partis du camp de base pour coller des panneaux anti-LGV ou pour taguer les gares de l’actuelle ligne Bordeaux-Toulouse. Le cortège du Giga Kapla commence à bâtir une vigie, à l’endroit où sera construit un des aqueducs qui enjambera la vallée du Ciron, classée Natura 2000.

Le chantier se déroule presque sans encombre. Une voiture de la gendarmerie s’est ensablée alors qu’elle surveillait l’action des militants. Devant les menaces d’une vingtaine de militants, les deux gendarmes ont fui, laissant derrière eux leurs équipements de protection dans la voiture ouverte. En fin d’après-midi, la vigie se dresse enfin. « Elle dit à ceux qui veulent construire la LGV : “On vous surveille !” » explique un participant.

Dans les chants et par les chemins forestiers, le cortège regagne le camp de base avant d’entamer une soirée de concerts et de fête. Le lendemain soir, alors que 200 militants s’affairent à démonter le camp, une perquisition est menée par la gendarmerie sans arrêter personne ni rien saisir.

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