La SNCF se lance dans le transport par bus. J’attends les cris de Martin Malvy car aucune ligne Paris-Toulouse n’est prévue. Tout commence encore une fois par la France du Nord. Mais trêve de plaisanterie et commentons un article de Jean Sivardière qui vient de paraître dans Sud-Ouest ce 12 juillet 2012.
Jean Sivardière de la FNAUT répond à quelques questions suite au projet de la SNCF de proposer des autocars longues distantes (voir à la fin). Plusieurs fois nous nous sommes adressés, sans réponse, à ce défenseur de la grande vitesse sous prétexte qu’il faut défendre le rail. La FNAUT a parfois évolué mais pas sur le fond comme le confirme les propos de Jean Sivardière dans l’entretien avec Sud-Ouest.
Il reconnaît que le prix du billet de train est cher et que le TGV est une technique coûteuse : « Les péages dont s’acquitte la SNCF sont chers, parce que les lignes sont chères. C’est moins vrai des trains Corail. » Sauf que la mise en place d’une LGV c’est la suppression du Corail équivalent ! La dénonciation du tout LGV tient aussi à cette mise en concurrence de la SNCF avec… elle-même ! Pour que la ligne chère soit rentabilisée il faut supprimer la ligne concurrente moins chère mais plus lente ! Allez à présent de Paris à Strasbourg en Corail !
Jean Sivardière avait là l’occasion de dénoncer le tout LGV !
Mais pourquoi la SNCF se porte candidate pour les bus longue distance ? Là aussi Sivardière oublie l’essentiel : la SNCF a eu le monopole sur les trajets longue distance (remis en cause en 2011). Les bus ne pouvaient qu’utiliser des lignes bien précises où, là aussi, la concurrence n’existe pas : quand une entreprise privée est propriétaire d’une ligne, elle y a tous les droits ! Allez en bus de Toulouse à Barcelone et vous verrez le problème ! Gamin, j’ai vu naître un des premiers ramassages scolaires sous la responsabilité d’une association des parentes d’élèves qui commandita un transporteur. L’année d’après, sous prétexte que le bus empruntait une partie de la ligne, le transporteur est devenu maître d’ouvrage et rafla des bénéfices énormes. Depuis des municipalités ont pu prendre en main avec leurs bus, cette activité pour les écoles primaires, les transporteurs se réservant le contrôle des transports d’élèves du secondaire avec des bénéfices toujours phénoménaux.
Je ne crois pas aux vertus inévitables de la concurrence mais je ne crois pas davantage, même pour un service public, aux vertus inévitables du monopole. Il faut pouvoir analyser en toute transparence les avantages des uns et des autres.
Je retiens simplement que le choix majeur de la grande vitesse par la SNCF est une façon d’exclure du rail les classes populaires. On a le droit de vouloir aller moins vite en payant moins cher ! Et que des cheminots ne viennent pas me dire qu’ainsi on rabaisse la qualité du service. Quand on a supprimé la troisième classe, on aurait pu aussi supprimer la première car à tirer vers le haut le déplacement par le rail, nous vérifions que la voiture reste le moyen de déplacement familial. Quant aux deux articles des Echos ci-dessous, ils me paraissent plus éclairants que le propos de Sivardière.
Jean Paul Damaggio
Article des Echos 5 juillet 2012
La SNCF coupable d’infidélité. Hier, le géant du train français a annoncé qu’il lançait une offre permettant de relier Paris et Lille à des grandes villes européennes comme Londres, Amsterdam ou Bruxelles. Mais attention. Ces liaisons ne se feront pas en train… mais en car. Est-ce vraiment le rôle de la SNCF d’aller sur ce terrain ?
C’est sur que pour les bobos parisiens, le plus important c’est Eurostar, Thalys ou les nouvelles lignes TGV. Les gens pressés et argentés apprécient le confort de la grande vitesse. Mais le TGV a deux inconvénients. Primo, ça coûte cher. Et secundo, quand la SNCF a ouvert des liaisons TGV, elle a tendance à laisser ses vieux Corails au garage. Donc le TGV est une machine à créer de l’inflation.
Pour plein de gens, ceux pour qui aller vite n’est pas forcément la priorité, le train est devenu trop onéreux. Il faut l’admettre. La SNCF le sait. Elle a développé quelques offres plus abordables comme iDTGV et elle veut lancer des TGV low-cost. Mais aujourd’hui il y a une demande pour des liaisons à bas prix. Et c’est à cette demande que la SNCF veut répondre en devenant à son tour autocariste.
Gagner des clients
L’inconvénient du car sur longue distance, on le connait : c’est la durée du transport. Mais en terme de qualité de service, les bus sont devenus très modernes. On a du wifi gratuit, des sièges inclinables et on passe d’un centre-ville à un autre avec pleins d’arrêts possibles en route. Et puis comme il faut moins de monde pour remplir un car qu’un train, on peut proposer plus d’horaires. C’est plus flexible.
Aux Etats-Unis, les cars de Greyhound transportent 25 millions de passagers par an. Au total se sont plusieurs centaines de millions d’Américains qui voyagent en bus sur des milliers de liaisons. Car l’avantage clef de ce mode de transport c’est son prix. On voyage pour une poignée de dollars.
Ceci dit, l’offre existe déjà avec des compagnies comme Eurolines que tous les étudiants connaissent.Alors pourquoi la SNCF se lance dans cette bataille?
La bonne raison, sur un plan offensif, c’est qu’il y a des clients à prendre. De l’argent à faire. Et puis la SNCF ne se voit pas que comme un groupe ferroviaire. Avec sa filiale Keolis, spécialisée dans les transports urbains et régionaux, la SNCF se voit comme un spécialiste de la mobilité. Et donc l’autocar entre dans sa stratégie. C’est un axe de développement, une diversification peu coûteuse.
Une raison défensive
Et puis il y a aussi une moins bonne raison, plus défensive. Si la SNCF se lance dans les cars c’est pour éviter qu’un concurrent ne vienne occuper cette place. En gros, la SNCF préfère que ce soient ses bus à elle qui fassent concurrence à ses trains. On est jamais aussi bien concurrencé que par soi-même.
Et la SNCF sait que la route sera demain un concurrent pour ses trains. Aujourd’hui, le transport national est un monopole de la SNCF. On n’a pas le droit de lancer des lignes de cars reliant entre elles les grandes villes françaises. C’est interdit par la loi qui veut protéger le monopole de nos chemins de fer. Il y a des bus régionaux qui sont en général eux aussi en position de monopoles locaux, mais il n’y pas de cars nationaux.
Mais cela va changer. Les transporteurs internationaux comme Eurolines ont déjà le droit sur un Paris Bruxelles de laisser descendre quelques passagers à Lille. La concurrence va se développer sur des lignes domestiques. Le changement législatif qui va le permettre est déjà engagé
Et d’ailleurs, il ne faut pas s’y tromper, pour la nouvelle filiale de cars de la SNCF, le vrai marché en ligne de mire c’est celui là. C’est plus le Paris-Lyon ou le Paris-Nantes que le Paris-Berlin qui sera stratégique
Article des Echos 27 juin 2012
On a connu le Transilien, l'Intercités, l'iDTGV... voici le dernier-né de la SNCF : l'iDBUS. Un nouveau service qui, cette fois, s'affranchit des rails et, comme son nom l'indique, part à l'assaut des trajets longue distance en autocars. En développant cette offre présentée mercredi à Paris, la société ferroviaire entend concurrencer les compagnies européennes spécialisées, à l'instar du géant Eurolines, filiale de Veolia Transdev, et de Megabus, appartenant au britannique StageCoach.
C'est en 2011 que la législation française a autorisé le « cabotage » sur les liaisons internationales. Une brèche dans laquelle se sont déjà engouffrés les spécialistes du voyage en car, qui offrent désormais à leurs passagers français la possibilité de descendre à un arrêt national.
De 49 à 65 euros pour un Paris-Londres
La création du nouveau service, opéré par SNCF-C6, filiale à 100 % de la SNCF, vise à lutter contre ce qui constitue une nouvelle concurrence à ses trains nationaux. La compagnie nationale attend encore l'autorisation d'effectuer des arrêts à l'intérieur des frontières (débarquer à Lille, par exemple, un passager monté à Paris), mais elle prépare déjà le terrain de bataille en ouvrant ce mois-ci ses premières lignes internationales, toutes à destination de l'Europe du Nord : Paris-Londres, Paris-Bruxelles et Paris-Amsterdam, à chaque fois via Lille où des passagers ne peuvent descendre, mais peuvent monter pour se rendre dans l'une des trois capitales européennes desservies.
La première flotte de 46 bus sera mise en place à partir du 23 juillet, avec un aller-retour par jour. Une offre plus élargie sera ensuite disponible à partir de l'automne. Quant aux prix, ils s'échelonnent de 49 à 65 euros pour un Paris-Londres, suivant la période de trafic. En revanche, une fois fixés sur le calendrier prévu six mois à l'avance, les tarifs ne bougeront plus. « Cela permet à nos clients prévoyants, comme à ceux de dernière minute, de savoir exactement le montant des trajets proposés », explique Maria Harti, directrice générale de SNCF-C6. Contrairement à ses cousins sur rails, la gamme iDBUS ne proposera pas de carte de réduction type 12-25 ans. Mais les groupes pourront bénéficier du pack « Tribu », qui offre une place pour trois billets achetés, soit 25 % de réduction pour quatre personnes. Le billet individuel Paris-Londres passe ainsi de 49 euros à 37 euros.
Les étudiants et les familles nombreuses visés
Car la SNCF touche là son cœur de cible : loin de s'attaquer à sa propre clientèle ferroviaire, la société veut grignoter des parts de marché au secteur de l'automobile. Familles nombreuses et étudiants adeptes du covoiturage sont donc directement visés. Pour un temps de trajet sensiblement similaire (8h30 un Paris-Londres, par exemple), iDBUS présente une alternative économique, le confort en plus. En chiffrant le Paris-Londres en voiture (type Clio, avec 48 heures de frais de parking à l'arrivée) à 218 euros, les 49 euros d'iDBUS constituent une alternative possible. D'autant plus qu'au prix, la SNCF ajoute une série de services : dès la réservation, les passagers disposent de l'itinéraire, des arrêts prévus et des horaires divers ; à l'intérieur des cars les places sont spacieuses, les sièges inclinables et équipés d'une prise électrique ; un réseau wifi est également ouvert. Pour le lancement de sa flotte, iDBUS propose un tiers de ses places à 5 euros à partir du 10 juillet.
Article Sud-Ouest 12 juillet 2012
«Sud Ouest » : Cette semaine, La SNCF a annoncé le lancement de services d'autocars sur des trajets internationaux. Qu'en pensez-vous ?
Jean Sivardïère. Il existe un besoin insatisfait de déplacements longue distance peu coûteux. Le TGV et même les trains Corail sont chers pour deux catégories de voyageurs, les seniors et les jeunes, qui ont le temps de voyager, même lentement, et qui ont des moyens financiers limités.
Pour ceux qui peuvent planifier leurs voyages, la SNCF propose pourtant des tarifs intéressants.
Les personnes âgées peuvent aussi avoir à faire des déplacements de dernière minute. D'une manière générale, le train ne répond pas à leur demande.
Si la SNCF se lance dans cette aventure routière, c'est qu'elle reconnaît que le train est trop cher ?
Le problème est de savoir si c’est son rôle de proposer une alternative routière au train. Qu’un autocariste privé comme Eurolines le fasse, c'est tout à fait légitime, parce que sa raison d'être est de développer des services routiers.
Actuellement, on ne parle que de services internationaux, avec une possibilité de cabotage sur les extrémités des lignes. Ce que nous disons, c'est que ce n'est pas le rôle de la SNCF de faire circuler des cars. Son rôle, c'est de rendre le train accessible aux clientèles dont j'ai parlé.
C'est difficile pour Le TGV ?
Oui, car c'est une technique coûteuse. Les péages dont s'acquitte la SNCF sont chères. C'est moins vrai des trains Corail. Ce que nous attendons de la SNCE, c'est un effort d'innovation pour rendre les trains Corail ou Intercités plus accessibles. Il en faut davantage et, aux heures creuses, à des tarifs plus attractifs.
Vous êtes donc opposés à l'autocar ?
Non, mais nous disons qu’il n’est pas adapté à la longue distance. Dans les transports régionaux, i1 y a deux cas de figure. Si un territoire n'a pas de voie ferrée, la SNCF fait circuler des cars et c’est très bien. Quand il y a possibilité de choix entre les deux, nous disons qu'il faut d'abord valoriser le train, par une bonne politique commerciale et par une bonne tarification, parce qu’il est plus confortable que le car.
La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) s'intéresse-t-elle à l'aspect écologique du transport ?
Le train est préférable parce qu'il ne consomme pas ou beaucoup moins de pétrole que les transports routiers. La SNCF ne doit pas jouer l'autocariste, mais à l'opérateur ferroviaire avec une politique d'innovation. Par exemple, dans les trains Corail, où on peut passer de nombreuses heures, il n'y a pas de restauration.
La SNCF n'est-elle pas en proie à la concurrence sur les rails mêmes de RFF ?
C’est encore un phénomène marginal. La seule concurrence aujourd'hui, c'est Thélo, société commune entre Veolia et Trenitalia, qui exploite un train de nuit Paris-Venise. Si la SNCF l'avait vou1u, elle aurait pu exploiter ce train. E1le abandonne de plus en plus ce qui n'est pas immédiatement rentable, comme les trains Corail ou les trains de nuit, lors que sa vocation est de développer tous les services ferroviaires. Recueilli par Jean-Pierre Deroudille