D’abord je ne boude pas mon plaisir : le débat sur le « tout LGV » n’est plus entre quatre murs mais bien, sur la place publique. Depuis des années, on nous traitait de tous les noms d’oiseaux car on remettait en cause une philosophie d’un autre âge, et même s’il y avait déjà eu quelques rapports critiquant la théologie de la grande vitesse, ils restaient confidentiels. Bref, le rapport Duron est un tournant mais jusqu’à quel point ?
De l’effet aux causes
Maintenant que le « tout LGV » est sous le feu de la critique, qui cherche à savoir comment on en est arrivé là, comment se sont empilés les projets ? La pile ne peut se défaire que si sont pointés du doigt ceux qui la firent ! Pour J-M Ayrault Sarkozy fait toujours le coupable idéal sauf que tous les grands dirigeants de région qui ont pleuré et pleurent encore matin et soir pour le « tout LGV » sont tous des barons… socialistes.
Le cas à part de Bordeaux-Toulouse
Quand on lit le rapport Duron, toutes les critiques du « tout LGV » s’adressent également à la LGV « Bordeaux-Toulouse » mais celle-ci serait repêchée car «Toulouse est la quatrième ville de France ». La LGV pourrait coûter 20 milliards d’euros comme Toulouse est la quatrième ville… La LGV pourrait détruire 10 000 hectares comme Toulouse est la quatrième ville… La LGV pourrait… de toute façon Toulouse est la quatrième ville….
Même pour la quatrième ville on peut réfléchir à la rénovation de la POLT ou de la ligne Bordeaux-Toulouse mais le poids politique de trois élus toulousains [et d’un propriétaire de quotidien régional] fait que tout rationalisme est mal venu. Bref le poids des barons a changé de nature avec le rapport Duron : ils ne disent plus qu’il faut des LGV partout, mais que la leur est vitale et qu’ailleurs il faut rénover les lignes existantes. Les défenseurs du POCL seraient heureux que Bordeaux-Toulouse ne se fasse pas, par exemple… pour le bien de la leur qui va tout de même à Lyon et de là en Italie avec Lyon-Turin etc.
Donc quand J-M Ayrault prétend qu’avant de décider de la politique, il va demander aux barons… j’ai des doutes sur les résultats, je le répète.
Autre cause du tout LGV : les géants du BTP
Je suis allé voir le communiqué d’Eiffage et je constate que le groupe fait profil bas.
Sans la dénonciation de la collusion entre ces géants industriels, des géants de la politique et certains ingénieurs, on ne portera pas le fer dans la plaie. Je rappelle que malgré une argumentation forte dans le rapport Duron contre le « tout LGV » aucune LGV n’a été abandonnée, mais elles ont été simplement classées et ce classement peut avoir deux fonctions : soit enterrer les projets, soit les rendre plus réalistes et donc réalisables.
Le cas de la POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse)
Le rapport Duron plaide pour la défense des lignes existantes mais travaille uniquement sur les projets de LGV ! Il aurait dû faire l’inverse et étudier comment améliorer les lignes existantes et voir ensuite la place des lignes nouvelles nécessaires (avec ou sans grande vitesse). Avec les projets lancés, jusqu’en 2025 les dépenses d’investissement en LGV resteront vingt fois plus fortes que la rénovation aussi, pour relancer les vieilles lignes, le rapport leur fait une place avec des projets d’innovations en matériel roulant. Sur ce point c’est un ingénieur qui a lancé l’idée de recycler des vieux TGV à mettre sur le POLT, solution qui a tous les aspects d’un accompagnement de la mort de cette ligne !
Cette idée de matériel nouveau est une bonne surprise mais quand la POLT reste toujours (vu les éléments du rapport) en concurrence avec la LGV Bordeaux-Toulouse, ça fait sourire.
Si la seule raison est financière ?
Est-ce que les justes raisons invoquées contre le « tout LGV » ne servent pas à masquer tout simplement une crise financière ? Est-ce que, s’il y avait de l’argent, on ferait des LGV, des autoroutes, des barrages, des tunnels immenses, des avions supersoniques etc. ?
D’autres le disent : la crise a du bon elle oblige à repenser le développement. Ne peut-on pas aller jusqu’à dire : l’austérité a du bon, elle oblige à lutter contre le gaspillage ? C’est aller dans le mur !
Le rapport Duron bouscule les raisonnements passés mais le gouvernement Ayrault peut-il bousculer des barons du PS, des géants du BTP, et des éléments de l’Ecole des mines? A moins que ce rapport ne soit qu’une étape dans la reconstruction d’une politique industrielle plus respectueuse des besoins des citoyens. C’est sur la ligne Bordeaux-Toulouse que nous aurons la réponse. J’avais appris que toute l’écotaxe avait été affectée à l’AFITF pour relancer quelques projets, et j’apprends maintenant que ce n’est vrai que pour la moitié de cette taxe, soit 500 millions, somme qui correspond aux détériorations que les camions plus lourds vont imposer aux routes ! Cette écotaxe devenant l’exemple du diable qui se mord la queue… puisque, c’est entendu, elle va porter tort au fret ferroviaire dans la mesure où, faire une écotaxe ne s’accompagne pas d’une opération massive en faveur du fret ferroviaire. Cette taxe démontre qu’aborder les questions sous le seul angle financier, c’est une erreur. La lutte contre la LGV Bordeaux-Toulouse va devenir plus emblématique. Un dernier mot pour les personnes impactées par les projets : Gilles Savary a expliqué qu’il est bien beau de reporter des chantiers, mais en attendant, qu’advient-il des personnes frappées par la détérioration de leur bien ? On ne sait pas… Significatif ? J-P Damaggio