(cet article veut faire un point général sur la question, en direction d'un public non mobilisé sur le sujet. il est publié par ailleurs. je le reprends ici à titre indicatif.)
Un fait
Le 14 octobre 2014, sur décision gouvernementale, l’enquête d’utilité publique (EUP) est lancée au sujet du GPSO à savoir le Grand Projet Sud Ouest et plus concrètement la LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax.
Déjà le lecteur ignorant du sujet s’étonne qu’on puisse programmer une LGV Bordeaux-Dax mais ne craignez rien, c’est une phase qui devrait être suivie ensuite du tronçon Dax-Hendaye pour rejoindre l’Espagne !
Ceci étant, les tronçons ridicules sont souvent légions en France et puisqu’on parle de LGV, pour le moment se construit le contournement de Nîmes-Montpellier sans que le tronçon final Montpellier-Perpignan ne soit programmé sauf, comme Dax-Hendaye, vers 2030 autant dire aux calendes grecques ! Le tronçon entre la gare Metz-Nancy et Strasbourg devrait lui être achevé un de ces jours ce qui n’empêche que quand on parle de la LGV-Est tout le monde l’imagine achevée jusqu’à Strasbourg.
Pourquoi ces anomalies, y compris sur des lignes considérées comme stratégiques ? Car l’essentiel n’est pas de construire un système ferroviaire cohérent mais de faire plaisir aux comtes et aux ducs les plus puissants !
Pour justifier la LGV Bordeaux-Toulouse le Comte de Toulouse a un argument de poids : Toulouse quatrième ville de France se doit d’avoir une arrivée en train par LGV. Mais alors le Duc d’Aquitaine dit : « je ne vais pas payer si on me refuse Bordeaux-Hendaye, LGV sur laquelle je peux cependant faire une concession : on l’arrête à Dax (concession d’autant plus utile que ça évite dans un premier temps de s’affronter aux Basques fortement opposées à la dite LGV) ». Et voilà comment on arrive à des aberrations !
Pour un chantier de 12 milliards d’euros d’après RFF, dépassant ainsi largement le précédent historique Tours-Bordeaux chiffré à 8 milliards, les préséances politiques priment sur la logique ferroviaire !
Et les citoyens peuvent vérifier que ce système pourtant champion en inutilité publique fonctionne avec Hollande comme il a fonctionné avec Sarkozy. Pour les spécialistes, je précise cependant que des experts ont tenté d’infléchir les décisions d’Hollande qui avait à cet effet nommé la commission Duron. C’est à la suite de celle-ci que le gouvernement a annoncé sur tous les tons un changement de cap : priorité aux lignes existantes, report du « tout LGV » dont les méfaits pour le fret et le train du quotidien ne sont plus à démontrer. Or, d’une part l’héritage était assumé (quatre LGVs à finir, un nombre dépassant tous les records) et à lui seul il continuait le « tout LGV » jusqu’en 2017, mais en même temps avec les LGVs Limoges-Poitiers, Lyon-Turin et le GPSO le système ancien est poursuivi : les reports des autres projets après 2030 devenant seulement une mesure de bon sens. Il a été chiffré qu’avec les réalisations programmées le déficit de RFF allait passer de 40 à 90 milliards d’euros de 2012 à 2017 ! Contrairement à une opinion répandue je ne crois pas à l’idée d’une « république des experts » qui ne sert qu’à masquer les décisions des politiques ! Encore dernièrement un homme politique a annoncé 100 000 emplois pour construire le projet GPSO alors que le projet Bordeaux-Tours, d’après le constructeur Vinci, annonce au plus 5000 emplois et en fait une moyenne de 2500 emplois ! Aucun expert ne dira les mensonges qu'adorent les politiques ! On ne peut pas être d'accord avec leurs expertise mais elle se veut une expertise.
Une analyse
Umberto Eco qui n’a jamais été un grand révolutionnaire mais un observateur attentif de la réalité sociale a noté voici des années que les luttes actuelles n’opposaient plus « les démons et les héros » ou pour le dire autrement, le Capital et le Travail suivant la tradition marxiste, mais les multinationales entre elles.
Et c’est ce que nous vérifions avec le fait rapidement présenté ci-dessus.
L’idée que dans le système économique actuel toutes les grandes entreprises tirent dans le même sens pour le bien général des actionnaires est totalement erronée. Même avec des entreprises publiques on a toujours connu en France une lutte sévère entre Air-France et la SNCF qui a fini par s’allier à EDF en électrifiant les lignes !
Les multinationales ont pris le dessus, mais ça n’empêche pas la guerre entre Free et Orange, Vinci et Veolia etc. Guerres réelles qui n'induisent pas forcément le bien des consommateurs !
Obtenir un chantier LGV c’est pour le trio Vinci, Eiffage, Bouygues, s’assurer que des milliards iront dans leur secteur au dépens par exemple de l’amélioration du service de santé ou du service des eaux même si c'est Véolia qui est à la manœuvre !
Les gouvernements passent mais le trio est toujours là avec sa force de frappe financière pour en imposer à des hommes politiques trop heureux de s’allier avec des géants !
Je ne sais si pour le ferroviaire (c’est le seul sujet que je traite ici) la droite a fait une politique de gauche, et la gauche une politique de droite, je sais seulement que c’est la même politique et qu’en conséquence les opposants peuvent être tout autant des électeurs de droite, du centre, de gauche ou le plus souvent des indifférents à la cause politique puisque de cause il n’y a plus !
Ce constat a donc une conséquence pratique sur le terrain de la lutte sociale. Le consortium entre les ténors politiques et les géants du BTP leur permet de manipuler la lutte des opposants qui ne sont plus des adversaires de fait, mais des alliés éventuels ! Un raisonnement tordu ? Cessons de sous-estimer le cynisme de ceux qui nous dirigent !
Tout comme dans les supermarchés où le vol est inclus dans les frais indésirables ajoutés au prix des objets, dans les luttes sociales des opposants de bonne volonté sont programmés et mis sur des rails décidés par les conseillers en communication. Voilà pourquoi la conception classique d’un peuple debout face aux décideurs est dépassée car les décideurs « aiment » leurs opposants ! Pour la LGV ils ont donc alimenté, soutenu, encouragé, les opposants au seul tracé car indirectement ces opposants validaient le projet ! « La LGV oui, mais dans le champ du voisin ! » ou dans « la région du voisin » ! Donc la LGV il l’a faut et là était l'essentiel ![i]
Cette manipulation de l’opposition a cependant un inconvénient pour les décideurs : elle peut unir au-delà des clivages classiques ! C’est là que les grands médias interviennent qui sont le plus souvent aux mains des grands décideurs politiques et économiques ! Chaque jour ils organisent la promotion de luttes où ils vont privilégier les casseurs aux « argumenteurs ». Phénomène qui a pour conséquence d’aggraver les précédents : le peuple se sent écarté, écarté car au sommet de l’Etat c’est la même politique et dans les médias c’est le pouvoir aux minorités masquées, elles-mêmes grandissant, fortes de cette légitimation.
Après des amis Basques qui ont pu le réaliser dans de petits villages, nous avons tenté de donner la parole aux citoyens en organisant un référendum et la police est venue nous sortir de devant le bureau de vote à Castelsarrasin. Les amis du Lot et Garonne ont été victimes de la même interdiction or il n’est rien de plus simple que cette expression directe. A Castelsarrasin au premier tour de la dite élection cantonale de 2011 nous avions pu distribuer sans problème une information en vue du vote interdit le dimanche suivant, et au cours de cette distribution touchant mieux que sur un marché l’ensemble des électeurs (plus disposés à discuter), les réactions avaient été très largement favorables au refus de la LGV. Mais ce refus n’a pas droit à l’existence quelque soit le gouvernement !
Inversement les autorités toulousaines ont souhaité lancer une pétition pour le soutien à la LGV par une association « le TGV vite » - association dont le nom est déjà un mensonge puisque le TGV arrive à Toulouse depuis 1990 – mais jamais le nombre de signataires n’a été publié ! Son site n'existe plus !
Dans ce contexte, à mes yeux, le rapport au politique doit changer : tous les clivages du passé ne servent plus qu’à masquer les réalités du présent ! Je ne tiens pas un propos théorique mais fruit d’une expérience pratique.
En se basant sur les combats citoyens d’associations, les écologistes ont réussi, à partir de la fin des années 80, à lancer un mouvement politique qui, bien sûr, a eu ses élans et ses blocages mais qui montre la voie. Je ne célèbre pas l’écologie politique que nous connaissons en France, mais l’idée que plus qu’en 1980, il faut faire un sort aux renvois d’ascenseur entre droite et gauche, et proposer un autre clivage social entre productivisme et anti-productivisme. La LGV nous rappelle ce que nous savons : vouloir aller très vite coûte extrêmement cher, or, ce n’est pas demander aux gens de moins se déplacer, que de dire qu’on peut le faire sur les lignes actuelles rénovées. Bien sûr, parmi les opposants à la ligne elle-même (qui sont de tous bords politiques comme sont de tous bords ceux qui la soutiennent) le débat sur la vitesse est varié mais le débat est possible : 240 km/h de moyenne c’est suffisant ? 260 km/h ? Je l’ai vérifié cent fois : « cessons de produire pour produire » est une idée populaire ! Ce qui ne signifie pas qu’il faut vivre moins, mais qu’il est possible de vivre mieux.
Face aux mastodontes qui construisent la LGV Bordeaux-Tours, face à cette machinerie impressionnante (les exploits techniques flattent l’orgueil de chacun) les réflexions de l’homme de la rue sont aisément manipulables par les micro - trottoirs des journaux télévisés, mais elles finiront par alimenter une révolte générale.
Jean-Paul Damaggio
[i] Dernièrement j'ai assisté à un débat sur le découpage régional du Limousin entre ceux disant que le Limousin n'avait pas à être avalé par d'autres, et ceux disant, "tu as raison mais pour être pragmatique il faut cependant préférer une alliance avec Bordeaux qu'avec Vierzon". Les décideurs proposent la peste et le choléra ce qui est un grand choix qui n'a rien à voir avec le pragmatisme qui a d'autres lettres de noblesse.