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yves crozet

yves crozet

Après avoir été un défenseur des LGVs Yves Crozet en est devenu le détracteur en chef. Il y en a d'autres à interroger mais c'est toujours lui.

Le concessionnaire privé n'est pas nommé et pour savoir ce qu'il va gagner c'est assez facile : il doit encaisser 200 millions par an pour les péages donc pour payer l'argent avancé, il faut 15 ans,   pour un contrat de 50 ans ! "Le TGV est un événement polarisant, il renforce les pôles." Voilà une analyse que je partage. Un article utile. JPD

 

L'usine Nouvelle

 

 [TGV] "Qui arrêtera de nourrir le moloch Ferroviaire"

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER COGNASSE ET CÉCILE MAILLARD PUBLIÉ LE 29/06/2017 À 00H00 FRANCE

ENTRETIEN Pour Yves Crozet, professeur d’économie des transports à l’université de Lyon 2, le TGV accompagne la croissance, il ne la crée pas.

 

À qui profiteront les deux lignes à grande vitesse (LGV) mises en service début juillet ?

Traditionnellement, les grands gagnants du TGV sont les utilisateurs parce qu’ils réalisent des gains de temps. Ensuite, ce sont les fournisseurs du matériel, comme ­Alstom. Puis la SNCF, et éventuellement SNCF Réseau lorsque les péages auront couvert les centaines de millions d’euros investis. Cette fois, il y a en plus un concessionnaire privé, pour cinquante ans. Il gagnera peut-être de l’argent un jour, mais pas dans les premières années. Il a investi 3,8 milliards d’euros, dont 3 milliards d’emprunts qu’il devra rembourser. Sachant qu’il a fallu en plus 3 autres milliards de subventions publiques et une contribution de 1 milliard de SNCF Réseau.

 

Et les territoires desservis ?

Il ne faut pas attendre de miracle du TGV sur les territoires. Certes, autour de la gare Bordeaux Saint-Jean, entièrement refaite, se construisent des hôtels et des immeubles de bureaux. Mais est-ce de la création d’activités ou de la relocalisation, comme on l’observe généralement ? Ce n’est pas la gare qui crée l’emploi, mais la tendance macroéconomique. La région Nord-Pas-de-Calais a gagné beaucoup d’emplois après l’arrivée du TGV en 1993, du fait du boom économique des années 1990. La même région en perd depuis 2008, alors que Lille est la ville d’Europe la mieux desservie en TGV ! Le TGV accompagne la croissance, il ne la crée pas. Il ne fait pas de miracle quand la macro­économie va mal. Ensuite, compte le dynamisme propre de l’agglomération. Quand Lyon, ville dynamique, a accueilli le TGV en 1981, nous en avons immédiatement vu les effets. Mais quand le TGV est arrivé à Metz et Nancy en 2007, il ne s’est rien passé. La Lorraine a perdu près de 5 % de ses emplois depuis 2008. L’erreur, c’est de croire qu’une réussite locale peut être transférée par la magie d’une offre ferroviaire.

À Reims, l’agence de développement économique affirme avoir attiré 219 entreprises en dix ans grâce au TGV. Si la plupart d’entre elles étaient déjà localisées en France, c’est un jeu à somme nulle. Du point de vue de l’intérêt général, l’arrivée du TGV est souvent une simple opération de chaises musicales, un gain ici, une perte là. Le TGV est un événement polarisant, il renforce les pôles. Ce phénomène s’accompagne d’une diffusion sur le territoire. Si le centre se revitalise, le prix de l’immobilier grimpe et certains ménages et entreprises sont poussés en périphérie. Cette diffusion se fait sur un périmètre relativement restreint.

 

Faut-il dire à toutes les villes qui en rêvent que le TGV n’apporte pas grand-chose ?

Les élus ont besoin de faire rêver, d’offrir un nouvel horizon à leur population. Or ils n’ont souvent rien de consistant à proposer sauf des infrastructures de transports (autoroutes, TGV…). Des villes comme Roanne, Nevers, sont les perdantes du phénomène général de polarisation. Leur apporter la grande vitesse coûterait très cher aux usagers et à la collectivité. En outre, cela les cantonnerait à une fonction de ville-dortoir. Quand le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, vient à Roanne promettre aux élus locaux que le TGV arrivera dans leur ville, il vend du rêve, mais à quoi cela sert-il ? Le TGV permet des rééquilibrages territoriaux, la Bretagne va être désenclavée…

Attention au mot « désenclavement » ! Il est à double sens car il y a aussi des flux sortants. À Rennes, un projet d’hôtel de luxe a été abandonné parce qu’en se plaçant à 1 heure 25 de la capitale, Rennes ne retiendra plus les Parisiens le soir. Ils vont rentrer chez eux.

 

L’équation économique de ces LGV est-elle résolue ?

On a bien fait de faire le TGV entre Paris et Lyon, entre Paris et Lille, entre Paris et Bordeaux, mais François Hollande voulait absolument une ligne Poitiers-Limoges, alors que cela n’a aucun sens ! Le coût pour la collectivité rapporté au gain pour quelques centaines d’usagers quotidiens n’est pas acceptable. Depuis l’ouverture de la LGV Est en 2007, l’extension du réseau exige des subventions des collectivités territoriales, de l’État et un peu de l’Europe. Les 3 milliards d’euros de Tours-Bordeaux correspondent à une subvention d’environ 6 euros par voyageur et par jour pendant cinquante ans… La Cour des comptes était fondée, en 2014, à contester cette subvention à la mobilité des riches grâce à de la dette supplémentaire pour l’État et la SNCF. Nicolas Sarkozy voulait aller vite en lançant quatre LGV en même temps, pour un coût total de 15 milliards d’euros, dont 8 milliards d’argent public. Or l’argent public est rare. Ces 8 milliards pèseront longtemps sur les finances publiques.

 

La ligne Paris-Bordeaux est-elle une bonne affaire pour la SNCF ?

Guillaume Pepy a annoncé que SNCF Mobilités perdrait 200 millions d’euros par an sur cette ligne. Et il y a un risque pour que SNCF Réseau ne gagne pas assez pour récupérer sa contribution de 1 milliard d’euros. Pour que ce soit une bonne affaire, il faudrait que le trafic augmente tendanciellement. Or depuis 2008, le trafic TGV plafonne en France du fait de la concurrence d’autres modes et d’autres choix de destinations, notamment celles qu’offrent les compagnies aériennes low cost.

 

Normalement, SNCF Réseau ne devrait plus payer pour les nouvelles lignes ?

Avec la «règle d’or», en effet, SNCF Réseau ne doit plus payer, mais l’histoire récente nous apprend que des arrangements sont possibles. Le gestionnaire d’infrastructures a déjà été autorisé à investir dans la liaison CDG Express entre Roissy et Paris. Le ferroviaire est en France assimilable au dieu Moloch, celui qui dévore les enfants. Quel Président, quel ministre sera capable d’arrêter de nourrir le moloch ferroviaire ?

 

Faut-il abandonner la construction de nouvelles LGV ?

Le Paris-Normandie est abandonné, remplacé par des aménagements coûteux, à Rouen et dans le Mantois, pour améliorer l’accès vers Paris. C’était la recommandation de la commission Mobilité 21. Le Paris-Orléans-Clermont-Lyon, c’est plus de 18 milliards alors que la ligne Paris-Lyon n’est pas saturée. Ce sont les gares qui le sont, à Paris et à Lyon. On ne peut pas dire qu’il n’y aura pas de nouvelle LGV, mais je recommanderais un moratoire de cinq à dix ans. La commission Mobilité 21, à laquelle j’ai participé, a tiré le signal d’alarme en 2013. N’oublions pas que le ferroviaire coûte chaque année en France plus de 12 milliards d’euros de subventions, auxquels il faut ajouter 2 milliards de dettes pour SNCF Réseau. Dans un pays où sévit le ras-le-bol fiscal, faut-il en rajouter dans la fuite en avant de la grande vitesse ?

Tag(s) : #médias, #LGV
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