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L'instabilité politique menace le calendrier de la LGV Bordeaux-Toulouse
La direction de la SNCF n'exclut pas un possible retard de la mise en service de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse prévue en 2032. Entre manque de ressources humaines et incertitude sur le financement de l'Etat, le calendrier du chantier pourrait être difficile à tenir.
Maxime Giraudeau et Pierre Cheminade
13 Jan 2025, 6:30
À partir de combien d'années de décalage peut-on dire qu'un projet n'est pas prioritaire ? Celui des deux LGV au départ de Bordeaux vers Toulouse et Dax est sur le quai depuis les années 1990. Et voilà qu'il pourrait encore subir quelques années de retard. C'est l'inquiétude que confie à la Tribune un membre de la direction de la SNCF, dont SNCF Réseau est maître d'ouvrage du chantier. Le contexte politique et économique n'aide pas à tenir la mise en service espérée pour 2032 sur le tronçon vers Toulouse et pour 2037 sur celui vers Dax.
Rien d'extraordinaire pour une opération pharaonique qui doit tracer plus de 400 kilomètres de nouvelles voies ferrées à travers quatre départements. Contactée par La Tribune, l'agence Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), qui pilote le projet, maintient que l'objectif de mise en service est toujours fixé à 2032. Le décalage pressenti par certains montre néanmoins la difficile concorde des intérêts autour de l'infrastructure.
Calendrier saturé
Si elle est une priorité pour les conseil régionaux d'Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine, ainsi que pour les deux préfets de région très proactifs sur le dossier, l'État et la SNCF sont eux occupés par d'autres sujets. « Avant 2038, il est impossible de livrer un grand tronçon des LGV : il faut déjà accomplir les rénovations prévues par SNCF Réseau sur l'existant, appuie Robert Claraco. En mettant les calendriers de travaux bout à bout, on voit qu'il n'est pas possible de programmer de nouveaux chantiers à court terme. Les moyens humains et techniques sont mobilisés ailleurs », explique ce directeur d'un bureau d'études, bien connu pour avoir réalisé une étude d'alternative aux LGV.
La régénération des lignes donne déjà beaucoup de travail aux équipes et il est difficile de mener de front les deux chantiers. « Les LGV ne sont pas une priorité pour SNCF Réseau. Le réseau s'effondre, ils n'ont donc pas fini de faire les pompiers », illustre Robert Claraco. En coulisses, les grands noms du BTP sont pourtant prêts à répondre aux appels d'offre qui leur offriraient au moins sept ans d'activité. Encore faut-il que la société de projet rassemble tous les financements promis.
« A court terme, nous sommes couverts par des moyens conséquents, à hauteur d'un milliard d'euros pour les aménagements au nord de Toulouse et au sud de Bordeaux. A moyen terme, il reste des engagements de l'État à aller chercher », explique Guy Kauffmann, le patron de la société de projet, qui parle de 2025 comme d'une « année clé ». « Il y a une incertitude globale sur la conjoncture mais pas d'incertitude spécifique sur le projet », commente-t-il. « Le projet se fera c'est certain, la question aujourd'hui est surtout budgétaire », confirme-t-on également au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine.
Les collectivités avancent l'argent de l'État
À la dernière relance du projet en 2021, Jean Castex, alors Premier ministre, avait acté une participation de 40 % de l'État sur un plan de financement de 14 milliards d'euros en 2019 qui atteint désormais 16 à 17 milliards en euros courants. Les aléas politiques successifs et les restrictions budgétaires pourraient fragiliser l'engagement. Le financement réellement versé par l'État à date s'élève à seulement une centaine de millions d'euros pour les lignes nouvelles.
La machine met d'autant plus de temps à se lancer que la SNCF manque déjà d'effectifs pour la faire tourner à plein régime. « En 2023, on a demandé des recrutements sur Bordeaux. Au dernier moment, l'État a dit à la SNCF qu'il n'engagerait pas d'argent maintenant. C'est pour ça qu'on a eu un retard à l'allumage », témoigne Patrick Labrue, secrétaire fédéral UNSA Aquitaine-Poitou-Charentes. Le maître d'ouvrage dispose des équipes nécessaires pour mettre en musique les aménagements ferroviaires au nord de Toulouse et au sud de Bordeaux. Pour les 400 kms de lignes nouvelles, rien n'est joué. Les cartes seront surtout dans les mains des entreprises privées. En décembre, le maître d'ouvrage leur a tracé le chemin en constituant trois lots de 100 kms, afin de lancer la consultation autour des appels d'offre dès cette année.
Mais pour financer ces lots, les collectivités ont néanmoins été contraintes d'avancer la part de l'État : environ 120 millions d'euros sur les 300 millions à engager en 2025. « Les élus locaux ont accepter d'avancer cette somme à l'État sans avoir un engagement écrit de remboursement. C'est un signal politique très fort pour soutenir le projet. Mais si l'État ne bouge pas ce problème pourrait se reposer dans les mêmes termes pour 2026... », insiste-t-on à la Région Nouvelle-Aquitaine.
« L'État a repris la dette de SNCF Réseau sous couvert d'une réduction drastique des effectifs. Désormais, pour réaliser les travaux, nous faisons appel à des entreprises privées à 80 %. Elles choisissent les chantiers qui les intéressent et on doit s'adapter à leur calendrier », argumente le syndicaliste Patrick Labrue. Dans un projet où plusieurs parties attendent des gages des autres avant de s'engager, les participations de l'État et de l'Europe (à hauteur de 20 %) ont droit de vie ou de mort sur la grande vitesse dans le Sud-Ouest.
Pour s'assurer du bon vouloir de l'État, Alain Rousset espère rencontrer début février le Premier ministre François Bayrou, doublement concerné par le sujet puisqu'il est aussi maire de Pau. « Le dossier est sur les rails, les problèmes juridiques sont derrière nous et la fiscalité est là, martèle le président du conseil régional. En 2025 nous allons tenir des ateliers, des réunions, des rencontres pour expliquer et convaincre que cette LGV est un investissement vertueux pour 100 ans ! »
Maxime Giraudeau et Pierre Cheminade