Je me suis mis en vacances mais Pierre Ortavent a été d'accord pour que je reprenne son bilan dans la lutte contre la LGV, alors le voici, avec en illustration une banderole ancienne puisque depuis le coût de la LGV a été multiplié par 2 au moins, et la loi sur les retraites... JPD
Le citoyen a vécu
Mi-janvier 2025, j’ai écrit à la maire de mon village, vice-présidente du Grand Montauban.Le budget primitif 2025 de cette communauté d’agglomérations nous apprend le vote d’une subvention de 660 000 euros pour la LGV Toulouse/Bordeaux. La presse indique que c’est sur le fondement d’un temps de trajet de 2h50 entre Montauban et Paris que cette subvention – hors compétence – a été votée. En m’appuyant sur des données précises et sourcées, j’ai donné des éléments de temps de trajet qui assurent que ces 2h50 sont parfaitement fantaisistes, irréalisables. J’ai donc demandé à la maire si les données que je lui communiquais étaient justes, et si c’était le cas, comment elle pouvait justifier ce vote. Il a fallu plusieurs relances pour obtenir un courrier sans aucun lien avec mes questions, assurant simplement que les élus agissent selon l’intérêt général. Puisque cette réponse ne correspondait pas à ma question, j’ai fait l’hypothèse qu’il s’agissait d’une erreur de destinataire. J’ai donc demander audience. Ne l’obtenant pas, je me suis rendu à la mairie. De l’entrevue, quoique brève et un rien houleuse, je tire quelques enseignements accablants. La question du temps de trajet est « un détail » dont les élus « ne s’occupent pas », alors même que l’on nous assure que c’est sur le fondement de ces 2h50 qu’ils ont voté. Les élus votent conformément à ce qu’on leur demande de faire (« comme on nous dit »), sans s’occuper de ce dont il s’agit véritablement. Le « on » n’est pas davantage identifié. Enfin, questionner la maire sur ses votes, de façon obstinée et courtoise, est vécu comme une intrusion et vaut à qui s’y risque d’être voué aux gémonies. La courte rencontre s’est terminée par l’évocation de l’adjointe chargée du dossier LGV, qui « doit me contacter », parce qu’elle a « plus de temps » que la maire, « puisqu’elle est enseignante » (la maire est retraitée).Cet épisode confirme un certain nombre de choses déjà constatées, mais qui désormais semblent s’organiser en système. La responsabilité : l’étymologie nous renseigne utilement. Est responsable celui ou celle qui est apte à « répondre », c’est à dire qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour rendre raison de ce qu’il ou elle a fait. Mais qui dit répondre dit question. En l’occurrence, c’est le citoyen qui demande des explications sur les actes posés en son nom par l’élu. Ainsi, notre élu ne se sent investie d’aucune responsabilité, et ne reconnaît au citoyen aucune légitimité pour la questionner. Et, de fait, elle accepte de n’avoir aucune responsabilité, puisqu’elle pose des actes de façon parfaitement inconséquente, sans aucune réponse possible à qui la questionnerait. Le Principe responsabilité, cher à Hans Jonas, est non seulement oublié, ce qui impliquerait une connaissance préalable, mais simplement ignoré. L’action responsable du citoyen est, quant à elle, immédiatement et spontanément identifiée comme illégitime, voire comme répondant au projet de semer le chaos. Le citoyen au sens du philosophe Alain, est devenu un semeur de troubles mal intentionné, ni plus ni moins. Il est donc impératif de le considérer comme tel et de l’éloigner de la chose publique. Enfin, le caractère éclairé des décisions prises en notre nom par cette élue n’est pas un problème, n’est même pas un sujet. Il n’a aucune existence. « On » nous dit de prendre telle ou telle décision, il y a une instance supérieure (laquelle?) qui non seulement m’économise la peine de me constituer un savoir minimum à propos des sujets sur lesquels on me sollicite, mais justifie par sa présence et son autorité sur l’élue, qu’elle reste dans l’obscurité de l’ignorance. La saillie gratuite et inattendue sur l’enseignante qui a plus de temps que la retraitée montre assez en quel mépris on tient le savoir. L’enseignant symbolise souvent le savoir, et il importe, dans l’existence bien administrée de notre élue, de manifester son mépris à l’égard de quelque chose qui a vocation à lui rester étranger. J’ai pris la peine de ne pas généraliser. Je n’ai pas d’expérience à caractère universalisable avec les élus. Cependant, je puis affirmer que tous les élus locaux à qui j’ai eu affaire dans mon secteur géographique s’inscrivent sans aucune exception dans ce schéma, dans ce que j’ai appelé « système ».Mon désarroi est grand, le dispute à mon accablement, et m’incline à « chercher sur la Terre un endroit écarté, où d’être homme d’honneur on ait la liberté. » Pierre Ortavent