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La société du GPSO

J'ai très souvent évoqué les "sociétés de projets" sur ce blog et surtout la façon dont par un amendement, elles ont été généralisées en 2019 à la construction des LGV. Il y avait eu le PPP que nous avions dénoncé et à présent tout le monde en convient le PPP était un piège pour les finances locales. Qu'en sera-t-il avec les sociétés de projet ? Merci pour ce texte de Gilles Savary que j'avais eu le plaisir de rencontrer et Marc Ivaldi. Une prise de position rare. Gilles Savary est au moins dix fois sur ce blog. JPD.

 

Transports : « Collectivités et contribuables locaux seront piégés dans le financement d’infrastructures démesurées qui devrait être du ressort de l’Etat »

Tribune - Publié le 25 mars 2023 à 06h30, modifié le 25 mars 2023 à 16h38

L’économiste Marc Ivaldi et l’ancien élu socialiste Gilles Savary démontrent, dans une tribune au « Monde », que les sociétés de projet mises en place pour construire les nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse ont pour but de récolter les taxes locales et n’auront aucun pouvoir sur la maîtrise de leur construction et de leur exploitation.

Lors de sa conférence de presse à l’occasion de la remise du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, le 24 février, Elisabeth Borne a annoncé que la Société du Grand Paris (SGP) serait mobilisée pour la réalisation d’une douzaine de RER métropolitains.

Cette annonce, passée quasiment inaperçue, vise à banaliser le modèle innovant de financement et de maîtrise d’ouvrage choisi pour la conduite du plus grand chantier européen d’infrastructure en cours : les 200 kilomètres de métro automatique du Grand Paris Express. Qu’en est-il vraiment ?

Le modèle SGP consiste à externaliser la maîtrise d’ouvrage d’une grande infrastructure à un établissement public ad hoc (appelé « société de projet ») doté d’une fiscalité propre qui lui permet de se refinancer sur les marchés financiers au rythme de sa construction, sans subir les aléas politiques et le carcan de l’annualité budgétaire.

Pour la construction du Grand Paris Express, la SGP assure ainsi le plein exercice de la maîtrise d’ouvrage publique et de la conduite des travaux (elle procède aux acquisitions foncières nécessaires, maîtrise ses approvisionnements, négocie avec les collectivités locales et les opérateurs fonciers, établit ses plans et programmes de travaux, réceptionne les ouvrages).

Arbitraire et injustice

Elle est dotée d’une ressource fiscale spécifique consistant en une taxe sur l’immobilier de bureaux et une taxe additionnelle à la taxe d’équipement prélevées en Ile-de-France, d’un rendement de plus de 600 millions d’euros annuels, qui lui permet de souscrire des emprunts sur les marchés financiers pour mener à bien sans anicroche un chantier géant de 35 milliards d’euros d’investissements étalé sur plus de quinze ans.

Le gouvernement Castex s’est explicitement référé à ce modèle pour monter en toute hâte son programme de trois LGV (ligne à grande vitesse) : Bordeaux-Dax-Toulouse (GPSO [Grand Projet du Sud-Ouest]), Montpellier-Perpignan (LNMP [ligne nouvelle Montpellier-Perpignan]) et Provence-Côte d’Azur (LNPCA [ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur]). Cependant, les « sociétés de projet » pour GPSO et LNMP constituent une version dévoyée du modèle SGP, consistant essentiellement à piéger collectivités et contribuables locaux dans le financement à perte de vue d’infrastructures démesurées qui devrait être du ressort de l’Etat.

En effet, ces sociétés de projet n’ont pas la maîtrise d’ouvrage des LGV. Elles ne constituent que de banales sociétés de cantonnement de la dette des collectivités locales contributrices. Leur unique fonction sera d’acquitter les factures de SNCF Réseau qui sera maître d’ouvrage à part entière et disposera de l’intégralité des droits de propriété, et donc des recettes d’exploitation des futures LGV. Il ne s’agit pas d’une simple nuance par rapport à la SGP, car ces sociétés de projet ne maîtriseront en rien la conduite des chantiers, de leurs budgets et de leurs coûts.

Par ailleurs, à l’exception notable de LNPCA qui est essentiellement destinée à l’amélioration des trafics d’échanges quotidiens, actuellement détestables, entre Aix-Marseille et Nice, les sociétés de projet des deux LGV occitanes (GPSO et LNMP) reposent sur des prélèvements fiscaux locaux d’un arbitraire et d’une injustice confondants.

Connivences politiques

Ainsi, par de stupéfiantes connivences politiques, les résidents et entreprises, y compris ruraux, de 2 340 communes théoriquement situées à une heure au plus d’une gare des LGV GPSO (toute considération de trafic et de congestion mise à part) acquitteront une taxe spéciale d’équipement complémentaire, du type de celle qui finance le tout-à-l’égout.

Les hébergements touristiques, y compris de petites communes (éloignées de la ligne) qui s’efforcent de développer un tourisme rural, devront recouvrer une taxe de séjour additionnelle pour financer des LGV qui contribueront surtout à concentrer la richesse dans les métropoles. Par une grâce étrange, les Franciliens, grands utilisateurs de TGV pour se rendre sur les plages d’Espagne et du Sud-Ouest ou dans les stations de ski pyrénéennes, comme les résidents secondaires de l’île de Ré (Charente-Maritime) ou du Cap-Ferret (Gironde), en seront dispensés !

En d’autres termes, alors que la SGP fiscalise les contribuables franciliens pour financer une offre de transport francilienne dont ils seront les principaux bénéficiaires, les sociétés de projet GPSO et LNMP prélèveront, pendant quarante ans, des taxes locales sur des ménages et des activités économiques fragiles du monde rural et de petites villes, mal pourvus en offres de transports publics, pour financer une grande infrastructure à vocation nationale et internationale qui ne répond pas à leurs besoins de déplacements essentiels.

On objectera que ces impôts nouveaux sont modiques et imperceptibles. Mais on sait d’expérience que les initiateurs d’une fiscalité ne sont pas comptables de son évolution. D’autant moins en l’espèce que la loi de finances 2023 a introduit une disposition stupéfiante d’indexation d’une partie de cette fiscalité sur l’inflation, au mépris de la souveraineté fiscale du Parlement !

Ruptures d’égalité

Surtout cette préemption d’une ressource fiscale locale d’un montant de 4,1 milliards d’euros (avant aléas !) pour la réalisation du seul GPSO, va générer un effet d’éviction aux dépens de projets locaux auxquels elle aurait plus de légitimité à s’appliquer.

En l’espèce, on imagine mal que les agglomérations de Bordeaux ou de Toulouse puissent envisager, d’ici quarante ans, de remettre une couche de fiscalité dans des sociétés de projet consacrées à la réalisation de leurs RER métropolitains ou de nouvelles lignes de métro, à l’inverse d’autres métropoles françaises (Lyon, Marseille, Lille, Strasbourg, Rennes, etc.) dont les dessertes TGV n’ont pas mobilisé une fiscalité locale.

Ce n’est pas la pertinence du modèle SGP qui est en cause mais le type et la destination des ressources propres sur lesquelles il devrait reposer : locales pour des besoins de proximité comme en Ile-de-France, et nationales pour de grands projets à vocation nationale ou internationale de type LGV. Ce qui est en cause, ce sont les ruptures d’égalité fiscale et territoriale qu’introduisent ces faux-nez de SGP dans le financement des différentes générations de LGV entre régions, mais aussi entre contribuables et usagers des TGV.

Autant la Société du Grand Paris a fait ses preuves en Ile-de-France, et a engrangé de précieuses compétences d’ingénierie et de maîtrise d’ouvrage qui peuvent contribuer à donner un coup d’accélérateur au développement et à la modernisation de notre réseau ferré, autant il serait contestable de n’envisager l’extension de son champ d’action que comme un cheval de Troie financier de l’Etat au prix d’une totale confusion institutionnelle et fiscale.

A ce stade, les modalités de la transposition annoncée du modèle SGP aux futurs RER métropolitains ne sont pas connues. S’agira-t-il de mobiliser les capacités de génie et de gouvernance éprouvées par la SGP en Ile-de-France, ou de faux-nez de SGP à usage de siphonnage fiscal des territoires, à l’image des sociétés de projet des LGV du sud de la France ?

Marc Ivaldi est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, professeur d’économie à TSE et président de l’Association française d’économie des transports ; Gilles Savary est l’auteur de « La Ville inaccessible. Essai sur une fabrique des gilets jaunes » (Le Bord de l’eau, 290 p., 18 €).

Marc Ivaldi(Economiste) et Gilles Savary(Ancien député PS)

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