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Dans Libération du 8 décembre Monsieur Tête a publié cette tribune. JPD

L’Etat investit à l’aveugle et creuse la dette publique

ETIENNE TÊTE CONSEILLER RÉGIONAL RHÔNE-ALPES ET RAPHAËL ROMI PROFESSEUR AGRÉGÉ DE DROIT. 8 DÉCEMBRE 2014 À 19:47

TRIBUNEL’endettement de la France est sans précédent. Il approche les 2000 milliards d’euros, et presque 100% du produit intérieur brut (PIB).

Si les gouvernements hésitent sur une politique d’investissements plus ou moins intense, il y a cependant un consensus pour exprimer que l’argent est rare et que les investissements doivent être sélectionnés de manière précise.

Tous les ménages ont la même expérience lorsqu’il s’agit de leur budget familial : personne n’investit tant qu’il ne connaît pas ses possibilités réelles de remboursement. Le montant des dépenses est une information importante, mais la capacité à faire face à une charge nouvelle l’est tout autant.

Cependant, cette conscience minimale partagée par tous ne l’est pas par l’Etat. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’Etat et les collectivités locales s’engagent dans des projets extrêmement coûteux sans vraiment évaluer ni connaître les moyens financiers pour couvrir les charges.

Il ne faut donc pas s’étonner de l’endettement croissant de l’Etat et des collectivités locales. Ceux-ci prennent des engagements sans obligatoirement devoir mettre en regard les conséquences financières.

Un exemple est particulièrement significatif. Avant de lancer un grand projet d’infrastructure, il est nécessaire de mettre en œuvre une procédure comportant une enquête d’utilité publique notamment pour les expropriations. Malgré deux grandes réformes sur ces enquêtes, la première sous l’autorité de Madame Huguette Bouchardeau, la deuxième sous l’impulsion du Grenelle de l’environnement, le décret d’application de la loi portant sur les obligations concernant les indications financières du projet n’a pas été modifié depuis une cinquantaine d’années (Décret du 6 juin 1959).

Depuis cette date, le dossier d’enquête publique ne doit comporter que «l’estimation sommaire des dépenses». En revanche, il n’existe aucune information concernant les recettes. Les citoyens ne peuvent pas savoir si la couverture des charges sera opérée par la contribution des usagers ou par des impôts, qui seront la conséquence des subventions publiques, de l’Etat ou des collectivités locales, pour combler le déficit d’investissement ou de fonctionnement du projet soumis à l’enquête.

Ce manque d’information est particulièrement préjudiciable. Il facilite l’engagement de l’Etat dans la construction d’infrastructures sans vérification de leur pertinence économique. Il n’autorise pas la vérification de la capacité du projet à faire face à ses charges à partir des recettes obtenues des usagers, autrement dit la rentabilité n’est pas évaluée.

Il empêche les collectivités locales et les citoyens de prendre leurs véritables responsabilités en se prononçant sur une infrastructure, en pleine connaissance des subventions qui seront nécessaires.

Cela interdit d’affecter les capacités financières des collectivités locales, au terme d’un arbitrage, aux projets les plus pertinents.

La Cour des comptes vient de le confirmer : «La succession des étapes menant à la décision de construction […] met en évidence le contournement des critères de rentabilité socio-économique ainsi que l’irréversibilité du processus décisionnel, bien avant que les modalités de financement de lignes pourtant très coûteuses ne soient étudiées.» (rapport sur «la Grande vitesse ferroviaire», octobre 2014)

Il ne faut pas s’indigner dans ces conditions d’observer l’accroissement de la dette publique, auquel ces approximations contribuent au moins pour partie.

Parmi de nombreux précédents reconnus a posteriori -comme des autoroutes ou des aéroports (dont le projet de Notre-Dame-des-Landes) -, les projets d’infrastructures ferroviaires destinées à établir de nouvelles liaisons entre Bordeaux, Toulouse et Dax, portent sur 327 km de lignes à grande vitesse (LGV) nouvelles. Leur coût est d’environ 9 milliards d’euros, hors matériel roulant. Il est déjà certain que le projet n’est pas rentable et qu’il faudra des subventions publiques. Le montant de celles-ci et la répartition entre les crédits de l’Etat, beaucoup trop endetté pour faire des promesses fermes ou crédibles, et les contribuables locaux est un secret des mieux gardés pour ne pas réveiller une forte opposition citoyenne.

La France peut-elle continuer une politique de gribouille qui consiste à cacher aux électeurs les risques économiques et les charges des investissements, pour affaiblir les contestations, voire les contestataires, et faire mine de se réveiller avec un endettement abyssal qu’on prétend ne pas avoir vu venir ?

Les budgets de l’Etat et des collectivités locales sont des enjeux essentiels de la démocratie. Si les électeurs ont parfois le sentiment de l’inutilité du vote, c’est parce qu’en cas d’alternance, aucune politique ne semble pouvoir changer quoi que ce soit, en raison de l’absence de marges pour des politiques nouvelles. Les nouveaux élus seront réduits au rôle de gestionnaires de l’annuité de la dette publique.

Un vrai déni de démocratie !

Etienne TÊTE Conseiller régional Rhône-Alpes et Raphaël ROMI Professeur agrégé de droit.

Tag(s) : #enquête d'utilité publique
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